Jardins partagés : quand mettre les mains dans la terre permet de mieux vivre en ville

On en dénombre environ 2000, dont une centaine en Ile-de-France. Les jardins partagés envahissent nos villes et végétalisent nos quartiers. Créateurs de lien social, ces espaces verts d’un nouveau genre questionnent surtout notre rapport à la ville : peut-on encore vivre en milieu urbain sans aucun contact avec la nature ? L’ampleur du phénomène des jardins partagés semble dire que non.
Dans quelques semaines, les premiers semis feront leur apparition dans les bacs du jardin partagé des Docks Vauban. En attendant, sous le ciel gris du Havre, Clémence Grégoire, directrice de ce centre commercial installé dans l’ancienne friche portuaire, inspecte les sept bacs de bois qui, d’avril à octobre, deviennent le terrain de jeu d’habitants en quête de nature.
Difficile d’imaginer que, derrière les murs en acier de ce temple de la consommation, des mains s’activent pour faire pousser des herbes aromatiques et des légumes oubliés. Et pourtant, ici comme ailleurs, les jardins partagés se multiplient.
Reconnexion à la nature, retour à la simplicité… la tendance des jardins partagés semble raconter beaucoup de notre société :
“Depuis la pandémie du Covid-19, je trouve qu’il y a une prise de conscience sur le fait qu’on peut faire des choses par soi-même. C’est finalement comme un retour aux sources, à un mode de vie plus basique.”
Entre découvertes de nouvelles plantes ou astuces pour fabriquer ses propres produits de beauté à partir des pigments des fruits et légumes, le jardin partagé des Docks Vauban suscite une adhésion totale parmi les havrais. À tel point que cet espace vert atypique remplit aussi des enjeux sociaux, comme la lutte contre l’isolement des personnes âgées par exemple.
Clémence Grégoire raconte :
“Autour du jardin, il y a des universités, des bureaux, des résidences. Ainsi, de nombreuses générations se rencontrent alors qu’elles n’auraient jamais échangé ensemble sans Les Docks Vauban. Je me rappelle par exemple d’une grand-mère, qui est venue avec toutes ses copines, pour participer en groupe à un atelier pour fabriquer son propre pesto à partir de fanes de radis. Dans ce genre de moments, on sent que les jardins partagés prennent une autre dimension que la simple végétalisation des villes : ils servent aussi à créer du lien.”
Les jardins partagés, la nouvelle tendance qui s’immisce dans nos villes
Si vous habitez en ville, vous avez probablement dû voir passer ces espaces verts d’un nouveau genre : les jardins partagés. Depuis 2015, le phénomène séduit de plus en plus de citadins, en quête de verdure, mais aussi de lien social. D’après le dernier recensement effectué en 2019, on en compterait un peu plus de 2 000 en France, dont plus d’une centaine serait situé en Ile-de-France.
Inspirés des “community gardens” qui ont fleuri à New-York et à Montréal, les jardins partagés sont des petits espaces verts de proximité, construits à l’échelle d’un immeuble ou bien souvent d’un quartier.
Mais en réalité, ces espaces sont bien plus que de simples jardins. Prendre part à un jardin partagé, c’est tout à coup faire partie d’un groupe, d’une communauté et ne plus penser en tant qu’individu seul.
Les jardins partagés séduisent de nombreux citadins aux profils très variés : des gens qui aiment le jardinage, évidemment, mais aussi des seniors isolés, des familles avec des jeunes enfants, des étudiants ou encore des personnes sensibles à l’écologie.
Les aspirations peuvent également varier d’une personne à l’autre : tandis que la majorité des membres d’un jardin partagé sont à la recherche de lien social et de convivialité, ce qui peut être parfois compliqué de retrouver en ville ; certains sont plutôt motivés par l’envie de prendre l’air, de découvrir une vie de quartier ou même d’apprendre à jardiner.
Ce qu’on constate, en tout cas, c’est l’ampleur qu’a pris le phénomène ces dernières années : d’après une enquête menée par Les Echos Week-End, en Ile-de-France, le nombre de jardins collectifs a augmenté de 30% entre 2015 et 2019. Cela se ressent aussi quand on observe le marché du jardinage : il a bondi de 25% entre 2019 et 2011. Plus marquant encore : certaines enseignes, comme Truffaut, se sont implantées au cœur des villes, comme dans le quartier de la Bastille à Paris ou dans le centre-ville de Toulouse.
Le phénomène des jardins partagés, c’est donc le reflet d’un mouvement de société en quête d’une reconnexion avec la nature. Mais les pouvoirs publics jouent aussi un rôle crucial dans la revitalisation des quartiers par le biais des jardins partagés. À Paris, par exemple, la municipalité a mis en place des permis de végétaliser pour simplifier la création de petits jardins au pied des arbres.
Une solution qui permettrait aux citadins de profiter des avantages de la ville tout en ayant un jardin à proximité :
“On sent que les gens qui vivent en ville ont besoin d’un parcours plus vert et plus agréable pour améliorer leur qualité de vie. Et sur cette question, les jardins partagés apportent une forme de réponse. De plus en plus de gens décident de quitter les villes pour aller à la campagne et je pense que les villes ont dû s’adapter à ce phénomène en trouvant le bon mix entre urbanité et nature.”, commente Clémence Grégoire, Directrice des Docks Vauban au Havre.
Les jardins partagés, un conte de fées urbain ?
Alors, les jardins partagés seraient-ils de vrais contes de fées urbains ?
Sur le papier, oui, mais en pratique, c’est bien différent.
En réalité, les jardins partagés créent souvent des conflits entre ceux qui consacrent beaucoup de temps au jardinage et ceux qui… s’en débloquent un peu moins. En effet, s’occuper d’un jardin partagé à l’échelle d’un quartier nécessite du temps et de l’investissement, et malheureusement, tout le monde n’a pas envie de mettre la main à la terre.
Pour pallier cela, Clémence Grégoire emploie une société normande, On Va Semer, pour organiser les ateliers et surtout s’occuper du jardin en hors saison :
“Pendant la période de l’hiver, le jardin partagé est en jachère, mais pour autant, il faut s’en occuper, il faut préparer la saison estivale et mine de rien, c’est beaucoup de travail !”
Des solutions que ne peuvent pas forcément s’offrir tous les jardins partagés, notamment quand ceux-ci sont créés à l'initiative bénévole des voisins d’un même quartier.
En somme, jardiner entre voisins, c’est bien, et ça permet de mieux vivre en ville, mais attention à se mettre d’accord dès le départ sur qui fait quoi pour éviter les couacs.