Habitats & société

Vendre sa maison contre sa mort : le viager est-il vraiment immoral ?

Le viager mélange trois sujets qui dérangent : l’argent, la vieillesse et la mort. Pris séparément, ils suffisent à crisper une conversation. Mis ensemble, c’est un cocktail explosif. Néanmoins, à y regarder de plus près, le viager mérite-t-il sa réputation si sulfureuse ?

Maurice, 80 ans, encore “en grande forme pour son jeune âge” aime-t-il plaisanter, a vendu son mas provençal, son seul patrimoine immobilier, en viager. 

Cet ancien commercial s’estime chanceux : 

“Avec ma retraite, je vis très bien. Mais aujourd’hui, ma fille unique de 47 ans, qui vient de divorcer, a besoin d’un apport pour se racheter un logement.“

Les acheteurs ? Un couple de quadragénaires, féru d’immobilier et de business, qui n’hésite pas à diversifier leur patrimoine : investissement locatif, achat de bitcoin et premier viager. Ni naïfs, ni pressés, ils savent que la patience sera leur salut et en parlent ouvertement à Maurice. 

Les deux parties semblent ravies de cette transaction et vont même boire un café ensemble après la signature chez le notaire. 

Alors, pourquoi le sujet dérange ? 

Pour rappel, le viager est une vente immobilière dans laquelle une personne âgée - appelé le crédirentier - vend son logement, mais continue d’y vivre jusqu’à sa mort. 

En contrepartie, l’acheteur - le débirentier - acquiert le bien à un prix réduit de 30 à 50 % par rapport à sa valeur réelle, cette décote tenant au fait que le logement reste occupé par le vendeur. 

Ce qui fait grincer des dents, ce n’est pas la transaction en elle-même, mais la notion d’aléa qui repose sur la durée de vie du crédirentier, et qui constitue l’essence même de la vente en viager.

Le fameux aléa qui alimente les clichés les plus tenaces

Le viager renvoie une image peu glamour : ce serait un pari cynique sur la mort d’un “petit vieux”. On s’imagine le débirentier guettant avec avidité le décès du vendeur, à l’image du film Le viager avec Michel Serrault. 

Et, si la personne âgée est coriace ? Le cliché dit que l’acheteur finira ruiné, à force de payer une rente sans jamais récupérer le bien. En définitive, cette transaction n’aurait rien pour plaire, aussi bien financièrement que moralement.

Mais, à la décharge du viager tant décrié, nous pouvons déjà affirmer une vérité : les signataires ont toute leur capacité juridique. C’est pour ainsi dire en âme et conscience qu’ils signent. 

Enfin, l’autre défaut pointé du doigt ? Le viager court-circuite les enfants. En effet, le vendeur dispose librement de son bien immobilier, alors même que les enfants tiennent souvent pour acquis d’en hériter un jour. Ici, ce qui est critiqué, c’est que l’aléa, à savoir le décès des parents, ne profitera jamais aux descendants.

Néanmoins, la réalité tend à tordre le cou à cette idée. Certaines personnes âgées, à l’image de Maurice, y voient une manière de rester maîtres de leurs choix  : transmettre un héritage de leur vivant, plutôt que de laisser la Faucheuse décider.

Pour les investisseurs, une transaction comme une autre, ni plus ni moins

Au fond, le viager ne diffère pas tant des autres placements immobiliers : le nouveau propriétaire investit pour se construire un patrimoine dans un objectif de rentabilité, tandis que le crédirentier profite d’un logement. 

Attention, ce marché, qui reste pour l’instant une niche, avec environ 5 000 ventes par an (1), nécessite une bonne maîtrise de certains critères

  • l’âge et l’espérance de vie du crédirentier ;
  • la valeur réelle du bien ;
  • le montant du bouquet, c’est-à-dire la somme payée comptant le jour de la signature de l’acte authentique ;
  • le loyer théorique que le bien pourrait générer en cas de mise en location, servant ainsi de base pour calculer la rente viagère.

Le viager est incroyable pour placer du cash !

Pour ne rien vous cacher, les acheteurs sont souvent des personnes qui ont déjà une bonne expérience patrimoniale, avec de l’argent à placer : “Se lancer dans le viager n’est pas un hasard”, dixit Paul, 55 ans, qui diversifie son parc locatif avec trois viagers.

D’ailleurs, ce directeur général d’une entreprise en région parisienne affirme même qu’à terme, son objectif est d’abandonner ses 6 biens locatifs et ses contraintes - gérer les locataires et courir après les retards de paiement - pour n’avoir que du viager. 

“Bien sûr, il faut avoir du capital et une vraie stratégie. Le viager est incroyable pour placer du cash,” estime-t-il. Grâce au viager, il peut accéder à des biens dont les prix défient toute concurrence, mais il considère aussi que son investissement rend service à des gens âgés qui, sans lui, ne pourraient plus rester chez eux.

En tout état de cause, si les calculs sont menés correctement et surtout, si l’expert immobilier fait bien son travail, alors l’investisseur peut viser une rentabilité moyenne de 7 %. (2) 

Au-delà des fantasmes, un mécanisme limpide avec plusieurs possibilités

Classiquement, lors de la vente, l’acheteur verse un bouquet initial, puis une rente mensuelle à vie au vendeur. Il s’agit du viager occupé avec rente, le dispositif le plus connu. Néanmoins, une autre option est possible.

En effet, pour ceux que l’aléa indispose, il existe le viager occupé sans rente. Dans ce cas, l’acheteur paye l’intégralité du prix, sans avoir à verser de rente par la suite, et le vendeur conserve son droit d’occupation jusqu’à son décès. 

C’est la formule que Maurice a choisie pour aider sa fille. La valeur vénale de son mas a été estimée à 300 000 euros. Grâce aux conseils de l’expert et à la négociation menée avec les acheteurs, il a bénéficié d’un bouquet de 180 000 euros. Il a donné 100 000 € à sa fille et 30 000 € à son petit-fils, sans payer de droits grâce aux abattements en vigueur. Le reste ? Il le conserve pour financer des soins “pour quand il sera très très vieux”.

Certes, on ne gomme pas l’aléa, mais au moins, le paradigme change : l'acheteur investit une grosse somme, une seule fois. Pour lui, c’est plus simple  : il n’y a pas de lien financier qui dépend de l'espérance de vie du vendeur, ce qui est rassurant et plus acceptable moralement.

Par ailleurs, les droits et les obligations de chacun durant la vie du crédirentier sont définis chez le notaire. En règle générale, ils se calquent sur la pratique locative : l'acheteur assume les grosses réparations et la taxe foncière, tandis que le vendeur s'occupe des menues réparations et des charges courantes.

Un moyen de financer ses vieux jours

Nous vous le concédons : le viager peut être un sujet malaisant puisque la mort, celui du vendeur, est un élément essentiel de cet investissement. Mais avant la mort, il y a la vieillesse et les conséquences qui l’accompagnent : baisse de revenus, perte d’autonomie, logement mal adapté.

Pour les seniors qui ont une petite retraite, que se passe-t-il lorsque de lourdes charges doivent être payées ou lorsqu'une aide professionnelle doit intervenir pour les soins et le ménage ? 

Perdre son chez-soi et dépendre de ses enfants, c'était le début de la fin.

Si l’argent n’est pas là, il y a deux issues possibles. Tout d’abord, les enfants peuvent devenir des soutiens financiers s’ils en ont la capacité et l’envie. Dans l’autre cas, il y a l'EHPAD, la solution la moins souhaitable pour les personnes âgées, puisque statistiquement 94% des Français souhaitent vieillir chez eux. (3)

Jeanne, 77 ans, nous a raconté à quel point le viager a été une bouffée d’air frais. Cette coquette citadine de la région bordelaise, en bonne santé, est l’heureuse occupante d’un T2 situé en centre-ville. Seulement, elle se retrouvait régulièrement dans le rouge. 

Il y a deux ans, à la mort de son compagnon avec qui elle n’était pas mariée, son train de vie s’est brutalement effondré. Par chance, elle était propriétaire du logement qu’elle occupe aujourd’hui.

Elle a pensé à déménager, mais pour elle, “c’était un crève-cœur de quitter ses habitudes”. Elle ne se voyait pas non plus affronter toutes les démarches de mise en vente, de cartons, de recherche d’une location.

Ses deux filles lui ont proposé de s’installer à Toulouse, dans un petit studio indépendant rattaché à la maison de son aînée. Mais pour elle, hors de question : “Perdre son chez-soi et dépendre de ses enfants, c’était le début de la fin.”

C’est son gendre qui a posé l’idée du viager. Ensuite, la décision s’est prise en famille. Le viager a été une renaissance : plus besoin de se saigner pour payer la future réfection de l'ascenseur ou la taxe foncière, charges qui sont désormais assumées par le nouveau propriétaire. 

Mieux encore, elle a profité d’un bouquet de 40 000 euros pour installer une douche à la place de la baignoire, réparer sa voiture et laisser un peu d’argent à ses filles. Quant à sa rente mensuelle de 450 euros, elle peut faire face à ses dépenses sereinement.

Un rôle social inattendu : le viager serait-il surtout utile ?

À y regarder de plus près, le viager est un moyen de profiter une seconde fois de sa résidence principale. C’est surtout l’occasion de mieux vieillir, de rester autonome et d'éviter le stress pour trouver un soutien auprès de sa famille ou la collectivité.

Pour le vendeur, c’est un pari sur sa propre existence : il devient occupant à vie de son logement. Et pour Jeanne, c’est l’occasion rêvée “de partir enfin en vacances avec ses copines”, ce qui lui était impossible jusqu’alors avec sa pension de 800 euros.

Mais, le viager révèle aussi un malaise plus profond : celui d’une société qui peine à accompagner les personnes âgées qui sont invisibilisées et pour lesquelles les institutions manquent cruellement de moyens.

Une chose est certaine : nous sommes tous voués à devenir vieux. Et paradoxalement, le viager sera peut-être la solution incontournable pour financer un système de retraite à bout de souffle et les soins d’une population vieillissante. À condition, bien sûr, que les personnes soient propriétaires de leur logement.

(1) "avec environ 5 000 ventes par an"

(2) "alors l’investisseur peut viser une rentabilité moyenne de 7 %."

(3) " 94% des Français souhaitent vieillir chez eux"

NB : les prénoms ont été modifiés

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