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Entre bétonisation et crise sociale : le vrai coût du logement neuf

Quand on parle de crise du logement, on pense spontanément au manque de logements disponibles et à la flambée des prix. Mais une étude récente de la Fondation pour le logement et de la Fondation pour la Nature et l'Homme révèle une autre facette, plus sombre, de cette équation : la bétonisation massive des sols aggrave les inégalités sociales et menace notre environnement. En filigrane, une question s'impose : peut-on vraiment se loger dignement sans artificialiser davantage nos territoires ?

Le béton, miroir des inégalités

La géographie du béton en France dessine une carte implacable des inégalités. D'un côté, les territoires verdoyants accueillent les foyers aisés, installés dans des logements spacieux avec jardins et parcs à proximité. De l'autre, les populations modestes se concentrent dans les zones les plus artificialisées, là où la densité humaine est forte et où la nature a pratiquement disparu.

Cette fracture spatiale n'a rien d'un hasard. Elle résulte de décennies de politiques d'aménagement qui ont relégué les plus vulnérables dans des environnements dégradés. Résultat : ceux qui ont le moins de moyens pour se protéger des effets du changement climatique vivent précisément dans les zones les plus exposées. Une double peine sociale et environnementale.

Construire toujours plus… pour loger qui ?

Chaque année, des milliers de logements neufs sortent de terre. En théorie, de quoi résorber la pénurie. Sauf que la réalité est bien plus complexe, particulièrement en Île-de-France. Cette région concentre 20 % de la population française sur à peine 2 % du territoire national, une pression démographique qui justifie, selon les promoteurs, une construction intensive.

Mais qui bénéficie réellement de ces nouveaux logements ? Certainement pas les familles les plus vulnérables. Les programmes immobiliers qui fleurissent répondent davantage aux logiques de marché qu'aux besoins sociaux urgents. Les prix restent inaccessibles pour une grande partie de la population, tandis que la pression sur le foncier ne cesse de croître. On construit beaucoup, certes, mais pas là où les besoins sont les plus criants, ni pour ceux qui en ont le plus besoin.

Le coupable désigné à tort

Quand on évoque la bétonisation, on pointe souvent du doigt les grands ensembles et le logement social. Une erreur d'analyse qui arrange bien des acteurs. Les chiffres sont sans appel : les maisons individuelles et les constructions de moins de 8 logements à l'hectare sont responsables de 51 % de la consommation d'espaces naturels en France.

Autrement dit, le modèle pavillonnaire, avec son étalement urbain et ses lotissements gourmands en terrain, dévore bien plus de foncier que les HLM. Le logement social, au contraire, se révèle nettement plus économe en espace. Une réalité qui devrait faire réfléchir sur nos choix d'urbanisme et sur l'image, souvent négative, que l'on colle aux constructions collectives.

L'Île-de-France, championne du béton

Si la région francilienne cristallise les tensions autour du logement, ce n'est pas un hasard. Avec un quart de son territoire déjà artificialisé contre 9 % en moyenne nationale, l'Île-de-France détient un triste record. Dans la métropole du Grand Paris, le taux grimpe à 90 % : neuf mètres carrés sur dix sont imperméabilisés.

En treize ans, la construction de nouveaux logements a englouti plus de 4 000 hectares d'espaces naturels, agricoles et forestiers. Des terres qui ne reviendront jamais à leur état initial. Cette course au béton se poursuit sans réelle remise en question, alors même que ses conséquences sanitaires et environnementales deviennent chaque jour plus visibles.

Le manque de nature rend malade

Au-delà de l'impact psychologique du manque de verdure, les conséquences sanitaires de la vie en milieu hyper-artificialisé sont mesurables. En Île-de-France, 18 % de tous les nouveaux cas d'asthme chez les nouveau-nés au niveau national sont recensés. Près d'un cinquième des cas français se concentrent dans une région qui abrite 20 % de la population.

Cette surreprésentation n'est pas le fruit du hasard. Elle découle directement de la qualité de l'air dégradée et du manque d'espaces verts. Les enfants des familles modestes, qui vivent dans les zones les plus denses et polluées, payent le prix fort dès leurs premiers mois de vie. Une injustice sanitaire qui s'ajoute aux inégalités sociales.

Un désastre écologique

L'artificialisation des sols ne se contente pas d'aggraver les inégalités sociales, elle fragilise aussi durablement nos territoires face à la crise climatique. Transformer des sols naturels en surfaces imperméables favorise la formation d'îlots de chaleur urbains, aggrave les sécheresses, augmente les risques d'inondations et participe à la pollution de l'air.

L'Île-de-France se trouve ainsi particulièrement vulnérable. Les épisodes caniculaires y sont plus intenses qu'ailleurs, les orages provoquent des inondations éclair faute de sols capables d'absorber l'eau, et la qualité de l'air se dégrade année après année. Un cercle vicieux qui menace la santé de millions de personnes.

Que faire ?

Face à ce constat alarmant, des solutions existent. Pour Éric Constantin, directeur de l'Agence Île-de-France de la Fondation du Logement, des mesures politiques fortes s'imposent. Il plaide notamment pour limiter le développement des résidences secondaires et des meublés touristiques, qui réduisent l'offre de logements disponibles à l'année sans répondre aux besoins des résidents permanents.

"Il faut concilier justice sociale et transition écologique, insiste-t-il. La lutte contre le mal-logement et la sobriété foncière doivent avancer ensemble." Une approche qui suppose de repenser radicalement nos modes de construction : densifier intelligemment plutôt qu'étaler, rénover l'existant plutôt que construire systématiquement du neuf, et surtout, orienter l'offre vers les besoins réels des populations les plus fragiles.

Se loger dignement sans sacrifier ce qui reste de nature n'est pas une utopie. C'est une nécessité, sociale autant qu'écologique, qui demande un courage politique que l'on attend encore.

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