Décryptage

Quand la maladie ressurgit au moment de l'emprunt : le choc d'une pathologie qu'on croyait oubliée

Marie, 33 ans, vivait normalement avec sa malformation cardiaque depuis des années. Jusqu'au jour où le système lui a rappelée. Entre surprise psychologique et sentiment d'injustice face à un système qui efface certaines pathologies et pas d’autres, témoignage d'une discrimination invisible.

Le choc : quand le passé médical frappe à la porte

Marie ne s'y attendait pas. À 33 ans, cette attachée de presse menait une vie parfaitement normale.

Sa malformation cardiaque ? Un rendez-vous de contrôle par an, pas plus.

Trois opérations à cœur ouvert, la dernière à 18 ans, puis une vie stable et un suivi cardiologique régulier, sans aucune complication. « Je me suis jamais sentie différente des autres, je me suis jamais sentie mourante. C'est juste un petit problème de plomberie ! » ironise-t-elle.

Lorsqu'en 2020, elle commence à chercher un appartement à acheter avec son compagnon, rien ne laisse présager que ce passé médical  viendrait s'immiscer dans ce sujet. « On avait des salaires qui nous permettaient largement d'emprunter. Tout se passait bien. » Le couple trouve un bien en VEFA à Bagneux, en région parisienne.Ensemble, ils signent la pré-réservation en novembre, versent les 3 000 euros d'acompte, puis prennent rendez-vous pour la signature définitive chez le notaire, prévue en mai 2022.

C'est au moment de remplir les documents d'assurance emprunteur que tout bascule. Elle reçoit un questionnaire de santé à remplir et doit détailler son parcours médical.

“Ça a été horrible. Je n’avais jamais vécu mes opérations du cœur comme quelque chose de négatif et je ne m’étais jamais sentie différente des autres. En recevant ce questionnaire, pour la première fois de ma vie, ma santé devenait un sujet.

Marie pensait être protégée par ce qu'elle avait entendu sur le droit à l'oubli : après cinq ans de rémission d'un cancer, les banques ne peuvent plus tenir compte de cette pathologie. Elle avait déduit que sa propre situation, avec plus de dix ans sans complication depuis sa dernière opération, serait traitée de la même manière.

Elle se trompait.

Entre surcoûts, lenteurs et manque de transparence des assureurs : les freins à l’emprunt avec une pathologie

Lorsqu’on demande un crédit immobilier, la banque exige presque toujours une assurance emprunteur. Même si elle n’est pas obligatoire par la loi, elle est indispensable pour obtenir un prêt. Cette assurance protège la banque et l’emprunteur en cas de décès, d’invalidité ou d’incapacité de travail. C’est à cette étape que les choses se compliquent pour les personnes atteintes, ou ayant été atteintes, d’une pathologie.

L'assureur impose un questionnaire médical détaillé : antécédents, traitements en cours, hospitalisations, séquelles. Une enquête qui peut remonter sur plusieurs années.« Le questionnaire… c'est tellement brutal. Moi ce que je me disais au début : pourquoi ils ne demandent pas juste une visite médicale chez eux ? » confie Marie.Depuis 2022, ce questionnaire n'est plus obligatoire pour les emprunts inférieurs à 200 000 euros. Mais lorsque la jeune femme a entamé son projet, cette mesure n'existait pas encore.

Impossible de contourner cette étape en dissimulant des informations. En cas de fausse déclaration, les conséquences sont lourdes : remboursement intégral des indemnités versées, annulation du contrat, voire poursuites judiciaires. « Pour moi, mon but c'était de protéger mon compagnon… hors de question de mentir. »

À partir de ce questionnaire, l'assureur détermine si le demandeur présente un "risque aggravé de santé". En 2023, 7,6 % des personnes ayant sollicité une assurance emprunteur se trouvaient dans cette situation. Certaines se sont même vu simplement refuser l’assurance de leur prêt.

Le prix de la maladie : une injustice qui pèse sur le prêt immobilier

« J’ai joué le jeu, j’ai tout dit… et il a fallu faire intervenir ma cardiologue. »

Pour Marie, répondre au questionnaire de santé n’a pas suffi : l’intervention de sa cardiologue est devenue indispensable pour finaliser la demande d’assurance.

Lire noir sur blanc que sa pathologie pouvait jouer dans leur projet a tout fait remonter. Elle vit avec, depuis plus de dix ans, stabilisée, et ne pensait pas qu’elle serait plus pénalisante qu’une autre maladie. S’ajoute alors un sentiment d’injustice : pourquoi, malgré des années sans complications, n’a-t-elle pas droit au « droit à l’oubli » accordé à d’autres pathologies ?

Pire encore, le questionnaire renvoie à l’opacité totale des banques. Aucun détail sur les conditions d’acceptation, aucune grille tarifaire accessible, « ça reste très flou… tu ne sais pas comment c’est calculé. »

Les courriers reçus renforcent ce malaise. « Ils se permettent d’agir sur le moral de personnes qui ont déjà vécu des choses difficiles, alors qu’au final, c’est juste pour nous demander plus d’argent. » Le système bancaire matérialise la pathologie en réassignant l’étiquette de « malade » à ceux qui refusent de la porter.

Pour Marie, ce processus va encore plus loin : il entrave les projets de vie. « La pathologie c'est comme un jouet qui sort de la fabrication défectueuse… alors, c'est comme si on n'avait pas le droit d'être neuf. C’est une question de dignité et de reconnaissance… on te fait sentir que ta vie est moins ‘assurable’. »

Après des mois de démarches, de rendez-vous médicaux et d'attente, le verdict est tombé : le couple a obtenu son prêt, mais  à quel prix ?

L’impact financier de son passif médical sur l’emprunt est considérable.

S’ajoute alors l’incompréhension d’une telle différence sur la deuxième dépense la plus importante dans son prêt immobilier.  L’assurance représente en moyenne entre 20% et 40% du coût d’un prêt, soit la deuxième dépense après les intérêts.

Car l’impact financier est considérable. L’assurance représente la deuxième dépense d’un crédit immobilier, entre 20 % et 40 % du coût total. Et les différences de tarifs restent incompréhensibles. « Moi je paye 45,44 € par mois, lui 33,60… sur 25 ans, l’écart est énorme. »

Soit 13 632 € pour Marie contre 10 080 € pour son compagnon, près de 3 000 € de différence, sans justification, sans explication, à l’aveugle.

Pour réduire la facture, la loi Lemoine permet désormais de changer d’assurance à tout moment, sans attendre une date d’échéance. Une avancée importante… mais qui oblige à reprendre, encore une fois, le même questionnaire de santé.

L’assurance emprunteur face aux maladies : un système inéquitable

Le cas de Marie est loin d’être une exception : 7,6 % des demandes d’assurance emprunteur en 2023 présentaient un « risque aggravé de santé », soit 224 068 dossiers.

Et cette différence n’est pas anodine pour la jeune femme : « ça laisse une marque… tu peux être en parfaite santé aujourd’hui, mais tu te rappelles toujours que tu étais malade, et que ça te coûte plus cher. »

S’ajoute aussi un manque de transparence, particulièrement sur les critères de suprimes. Deux personnes atteintes de la même maladie ne paient pas forcément la même chose.

Les assureurs étudient chaque dossier individuellement : antécédents, traitements, durée de rémission, sévérité de la pathologie, résultats médicaux… La moindre variation dans un parcours de soin peut faire grimper, ou baisser, la surprime.

Ainsi, l’augmentation du prix ne dépend pas seulement de la maladie en elle-même, mais aussi du profil personnel de l’emprunteur et de la politique de chaque assureur.

Selon une étude de Réassurez-moi, les surprimes moyennes varient :

  • Cancer : + 22,03 % (avec droit à l’oubli après 5 ans post-traitement)
  • Maladies psychiques : + 16,43 %
  • Maladies respiratoires : + 10,72 %
  • Maladies cardiaques : + 10,33 %
  • Certaines pathologies cardiaques plus lourdes peuvent entraîner des surprimes allant de 25 % à 200 %, selon l’histoire médicale de chaque personne.
  • Maladies métaboliques : + 9,46 %

Pour les maladies auto-immunes, les surprimes peuvent aller de 75 % à 200 %, preuve que l'écart se joue autant sur la maladie que sur les caractéristiques individuelles du dossier.

Heureusement, des avancées existent. Depuis 2022, aucun questionnaire médical n’est nécessaire pour les emprunts sous 200 000 euros. En cas de surprime trop élevée ou de refus d’assurance, il est possible de faire une demande auprès de l’AERAS (Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé). Plus de la moitié des demandes refusées sont en fait complètement assurable, après intervention de l’organisme.

l’AERAS, c’est quoi ?

C’est une convention française qui facilite l’accès à l’assurance emprunteur pour les personnes ayant ou ayant eu des problèmes de santé. Elle a été créée en 2007 pour que personne ne soit exclu du crédit immobilier à cause d’une maladie passée ou d’une pathologie chronique, tout en permettant aux banques de se protéger financièrement.

Elle présente notamment une grille de référence qui établit la liste des maladies et pathologies qui permettent un accès à l’assurance dans des conditions standard ou s’en rapprochant.

Pour pouvoir s’appliquer, les trois conditions suivantes doivent être réunies :

  • la demande de prêt concerne un prêt immobilier ou un prêt professionnel pour l’acquisition de locaux et/ou de matériaux,
  • le montant assuré n'excède pas 420 000 euros,
  • l'échéance des contrats d'assurance doit intervenir avant le 71e anniversaire

Aujourd’hui installée dans son appartement, Marie garde le goût amer de cette expérience injuste. « Ce n’est pas seulement administratif, c’est émotionnel… ça touche au cœur, au moral, au sentiment de normalité. »

Un ressenti partagé par des milliers de Français chaque année, pris entre un droit à l’oubli encore imparfait et des formes de discrimination plus subtiles, que la loi ne parvient pas totalement à faire disparaître.

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